La "pyramide" de Verlaine


Un grand merci à Mme Marie Berck-Mathieu de Verlaine qui nous a remis le contenu d'un article de presse (non daté et dont l'origine est inconnue) que sa mère avait consciencieusement recopié sur papier libre. Nous le reproduisons textuellement ci-après. Il est digne d'intérêt et reste, jusqu'à présent, notre unique source sur ce sujet.
F.B.


"La carte de l'état-major de Namur signale l'existence d'une pyramide à près de 600 m au sud-ouest du village de Verlaine à l'altitude de 190 m environ.

Tandel, dans son ouvrage "Les Communes luxembourgeoises", écrit : "A une date que l'on ignore, un seigneur avait fait élever au fond de sa propriété, dite Rouha, une pyramide tronquée, d'une seule pièce ; cet obélisque monolithe, ayant 30 pieds de hauteur et 30 pouces de côté à sa base, fut enlevé, renversé et brisé par un coup de vent, en septembre 1866". Ces renseignements ont intrigué un vieil Ardennais et l'ont décidé, en août dernier (l'article aurait été écrit dans les années '40.), à visiter les lieux, tant pour se rendre compte de la forme de ce monument, que pour connaître l'origine et le but de la construction.

Cette visite lui a permis de reconnaître qu'il s'agit d'un obélisque plutôt que d'une pyramide. Que celui-ci est composé de quatre parties :
- d'un piédestal en pierre calcaire de 1,96 m de hauteur, dont le dé a 0,80 m de section carrée ;
- de quatre boules aplaties en marbre blanc de 0,14 m de hauteur et de 0,18 m de largeur, appuyées sur le piédestal ;
- d'une pyramide tronquée, également en calcaire, de 2,20 m de hauteur et de 0,64 m de section carrée à la base, reposant sur les 4 boules en question ;
- d'un vase en terre réfractaire d'Andenne couronnant le sommet de la pyramide.

Ce petit monument occupe le centre d'une aire en forme d'ellipse de 22 m de grand axe et de 16 m de petit, clôturée par une haie vive (ndlr : actuellement, l'aire est en forme de cercle, a environ 25 mètres de diamètre et la haie vive qui la clôture est sauvage et devient presque infranchissable).

L'obélisque en question se trouve le long d'un vieux chemin de campagne, reliant la route de Tohogne à Hamoir à l'ancien chemin de Tohogne à Verlaine ; il est bordé d'une haie vive, indépendante de la précitée.

Un cultivateur de l'endroit qui travaillait dans un champ voisin lui a appris que le vase qui couronne le monument a été placé sur celui-ci par le propriétaire du château de Verlaine qui n'était pas parvenu à faire remettre en place les morceaux de la pyramide brisée en 1866 et que des tronçons d'icelle se trouvaient à l'ouest, dans un petit bois tout proche.

En effet, dans ce bois, on voit la partie supérieure de l'obélisque (début mai 2007, nous avons tâché de retrouver ces vieilles pierres, en vain !). Elle mesure 1,50 m de hauteur, sa base carrée a 0,40 m de côté et sa partie supérieure 0,33 m. Elle est surmontée d'une pointe de 0,15 m de hauteur en forme de tête de diamant. Un trou pratiqué dans la pierre indique qu'une ajoute, probablement en métal, terminait anciennement ce monument. Les différentes sections prises sur les restes du monolithe lui ont permis de déduire que celui-ci avait anciennement 6,79 m de hauteur y compris la pointe de diamant. Ce monument a donc eu, boules et piédestal compris, 1,96 m + 0,14 + 6,79 = 8,89 m de hauteur. Si l'on ajoute l'ornement métallique qui le couronnait, la hauteur totale était au moins de 30 pieds. Le dé du piédestal mesure 0,80 m de côté, soit environ les 30 pouces dont parle Tandel.

Ce petit monument ne portant aucune inscription, aucune date ni aucun emblème, on se demande dans quel but et à quelle époque il a été érigé. Il est à peu près impossible de répondre à cette question d'une façon certaine. Il paraît bien évident qu'il a été construit par un des châtelains qui se sont succédé à Verlaine depuis le 18e siècle. On sait que le château actuel a été reconstruit au 18e siècle. On sait en outre que d'après les actes de vente et de succession, en 1720, et encore en 1768, le château était la propriété du chevalier Gilles Albert de Ghelin ; qu'il a appartenu ensuite au chanoine François Gaye, qui l'a légué à son neveu Philippe Gaye, bourgmestre de Liège ; que la veuve de ce dernier, Florentine de Modave, l'a vendu à un baron de Bonhomme, et ce dernier à Lambert Laguesse qui le possédait au commencement du 19e siècle ; qu'après lui la propriété passa à la famille de Bissy qui la vendit à la famille Montulet de Liège (ndlr : en 1893) et que cette dernière famille est toujours propriétaire du château (ndlr : actuellement les enfants des époux Jacques Dellicour-Montulet, récemment décédés).

L'ordonnance du monument, ainsi que la taille des pierres qui le composent, permettent de supposer qu'il a été construit dans la première moitié du XXème siècle, donc vraisemblablement par Lambert Laguesse, propriétaire du château à cette époque. (…) Dans quel but cette construction a-t-elle été érigée¸ d'où proviennent les pierres de taille qui le composent ? La situation de ce monument, dans une vallée entourée de montagnes de 30 à 40 m de hauteur, permet de dire qu'il n'a rien d'un signal géodésique. Ce n'est pas non plus un monument funéraire, les habitants de Verlaine l'affirment, il ne porte au reste aucune inscription ni emblème. Ce ne peut être qu'un monument décoratif, construit pour terminer la perspective d'un parc. Ce parc est aujourd'hui à l'abandon, mais il est certain qu'avant que la végétation eût masqué le château, l'obélisque pouvait être vu de là. Les pierres doivent provenir d'une ancienne carrière de Houmart, hameau voisin, et elles auront été amenées sur place par les moyens rudimentaires et très onéreux utilisés il y a plus d'un siècle. En se rappelant que c'est en 1836 que l'obélisque de Louqsor a été amené à Paris et érigé Place de la Concorde, ne peut-on admettre qu'un propriétaire fortuné, subissant les effets de la mode de l'époque, ait décoré sa propriété d'un monument de l'espèce ? "

"Un vieil Ardennais."


Extrait de la revue Terre de Durbuy n° 102 (juin 2007).